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Le blog d'Erica
31 décembre 2007

ALMANACH D'ÉRIC : CONCLUSION

Conclusion

Émerger en lumière 

La présence inattendue dans cet Almanach, pour ne pas dire « incongrue », aux yeux de certains, et en premier lieu d’Émeric de Monteynard, d’un Émeric parmi tous ces Érics, ne risque-t-elle pas d’affaiblir le projet d’ensemble ? Ne lui confère-t-elle pas au contraire plus de force, un peu à la manière d’une clé de voûte ? Chacun est libre d’interpréter les choses à sa façon. Je tenterai de défendre ma propre interprétation en conclusion de cet almanach. Tout d’abord, je m’interrogerai sur les correspondances phonétiques, étymologiques, sémantiques, alchimiques, etc. (tous ces rapports étant souvent imbriqués les uns dans les autres) entre les deux prénoms phares. Je laisserai ensuite parler mon imaginaire symbolique en m’en tenant toujours à l’axe Éric / Émeric. J’emprunterai enfin à l’astronomie une métaphore qui me semble pertinente pour ouvrir et éclairer mon point de vue sur le sens profond de ma démarche, c’est-à-dire de ma quête, aussi chimérique soit-elle.

I. Correspondances phonétiques, sémantiques, étymologiques, alchimiques

Le rapport d’Éric à Émeric se lit au niveau phonétique dans le jeu de miroir de leurs lettres et syllabes conjuguées. Remarquons pour commencer que ressortent dans les deux prénoms les voyelles fermées é et i (autrefois appelées « hautes » selon la position du dos de la langue plus élevé vers le palais) sont les plus claires et les plus aiguës car elles sont dans la zone formantique des fréquences les plus élevées du triangle vocalique[1].

Sur le plan sémantique, Émeric non seulement inclut Éric mais instaure un sens fort en y adjoignant le verbe aimer, ce qu’a bien mis en évidence Éric Chevillard[2] : « (j')Emeric, (j')aime Eric». (Parmi les variantes orthographiques d’Émeric, la graphie Aimeric ou Aymeric avec è ouvert aurait été plus proche de aime mais le é fermé de Éric aurait été perdu…)

Selon Éric Nataf « dans Émeric  il y a le “m” [“aime”, “Em”]” de “amour ”. Il est beaucoup moins dur, moins en rupture qu’Éric, du fait de ses trois syllabes. Il garde le dynamisme d’Éric, l’amour, la douceur en plus[3]. » Mais l’amour (έρος) n’est-il pas déjà présent en germe dans Éric ?

J’aime penser que dans Émeric, sans avoir forcément de racine étymologique commune, il y ait la sonorité « émér(i) » comme dans le mot grec Hêméra (ήμέρα ou ήμερiα), le jour, qui a donné éphéméride, hémérologie, hémérologique[4]

Je donne la parole à Richard Khaitzine qui propose une interprétation « alchmique » ou ésotérique des mots à partir de la racine de leurs lettres elles-mêmes :

« Il existe un autre moyen, hormis l'étymologie classique, permettant de tirer l'essence des mots ; et cela vaut pour les prénoms. Les consonnes forment l'ossature du langage et les voyelles servent à animer, à donner vie aux mots. Cela se constate dans les langues sémitiques où seules existent les consonnes, les voyelles étant permutantes et changeant, en fonction de celles qui sont utilisées, le sens de la racine construite sur des consonnes. On en retrouve des exemples parlants en français. Le même exercice s'applique aux prénoms, ainsi pour ERIC : 

E ou hé: l'énergie vitale. 

R: en grec Rho : la chaleur lumineuse. 

I: c'est l'aile de l'oiseau en hébreu, cette lettre marque l'expansion l'élévation ; c’est la toute puissance manifestée, la manifestation potentielle. 

C: en grec khi : la lumière, la clarté lumineuse. Il est intéressant de noter que le C affecte la forme d'un croissant lunaire.

Eric, signifie donc " la manifestation de l'énergie vitale sous forme de  clarté et de  chaleur lumineuses." 

C'est la descente de l'esprit créant la matière, l'établissant. L'étymologie « roi puissant » est également correcte puisque les rois étaient censés être établis de droit divin, donc par une force venant du ciel, d'en haut. » 

Quant à ma question : « quelle serait, selon vous, la signification du prénom Émeric par rapport à Éric ? qu'apporte la lettre M ou la syllabe Em ? », voici la réponse de Richard Khaitzine :

« Le " M" c'est la femme, la mère, la compagne, par extension la lune mère des formes, tout ce qui est fécond, c'est l'action extérieure et passive, c'est le mouvement par lequel un nom ou une action sont pris pour moyen, pour instrument.

Mais la racine " Hem " ou "  em "  c'est le travail, l'effort, l'activité extérieure, la chaleur résultant du mouvement créant la chaleur, la chaleur solaire. Par suite Émeric possède la même signification qu'Éric en plus complète puisque la lumière est luno-solaire[5]. »

*

II. Sens symbolique profond

Après ces considérations générales sur les ressemblances et différences phonétiques, sémantiques étymologiques et alchimiques entre Éric et Émeric, voici l’approche symbolique que je donne personnellement à ces deux prénoms dans le cadre de mon projet.

D’Éric en Émeric, j’ai longtemps cru déceler dans les deux prénoms le symbole du dieu Janus, « le dieu des transitions et des passages, marquant l’évolution du passé à l’avenir, d’un état à un autre, d’une vision à une autre, d’un univers à un autre, dieu des portes[6]... » 

Mais cette interprétation a l’inconvénient de fusionner en une seule entité Éric et Émeric alors qu’il s’agit bien de deux personnes distinctes ; plus proche de la vérité serait d’énoncer : « deux hommes face de Janus ne semblaient pas devoir se ressembler et tous deux troublent au fond de nous ce qui est le plus trouble et le plus phosphorescent.[7] » 

Dans cette évolution du passage de l’un à l’autre, j’ai fait mienne cette pensée de René Char : « il faut deux rivages à la vérité : l’un pour notre aller, l’autre pour son retour. Des chemins qui boivent leurs brouillards[8]. »

Très schématiquement, le trajet parcouru dans l’almanach pourrait se résumer par cette « formule » :

A « l’aller » : « de l’horizon d’un seul à l’horizon de tous » 1 seul Éric → tous les Érics

Au « retour » : « de l’horizon de tous à l’horizon d’un seul » : → tous les Érics → 1 seul Émeric.

*

Chercheuse d’or longtemps partagée entre Éric et Émeric, bloquée par ce dilemme jusqu’au vertige, à l’obsession, j’avais cru trouver un filon, une « résolvante » analogique, grâce à la Symphonie du Nouveau monde de Dvořák, particulièrement dans le 4e et dernier mouvement Allegro con fuoco en mi mineur. La musique est censée évoquer tantôt la lointaine patrie originelle, tantôt l’Amérique. Or, « dans le final, tout va vers l’apogée dans un lumineux mi majeur. La fin, à elle seule, est cependant unique en son genre : la symphonie n’est pas terminée par un fortissimo à effet mais, au contraire, par un accord final affaibli jusqu’à un ppp ” [pianississimo]. Comme si le cœur plein d’amour, le compositeur embrassait le monde entier – et non seulement le Nouveau Monde mais aussi le Vieux où se trouve sa patrie.[9]»

L’almanach se termine comme un ultime bourgeon de lumière, analogue pour moi à l’accord final de la symphonie de Dvořák. J’emprunte à dessein cette expression au nom d’une installation monumentale in-situ de Dimitri Parimeros et Laurent Prat réalisée « en fibres optiques en partition de sonorités lumineuses[10] ». Les couleurs dominantes y sont l’or et le bleu[11] sur fond noir.

*

Éric et Émeric : lumière solaire et/ou lunaire, Nouveau Monde et Ancien Monde, allusion à Janus, rivages aller et retour, toutes ces images et symboles ont en commun le thème du double et de la synthèse des contraires.

Dans cette perspective, leurs deux univers ne s’opposent plus, l’un ne supplante pas l’autre ni ne l’affaiblit, mais ils renvoient sans cesse l’un à l’autre et s’éclairent mutuellement.

Pour moi, Éric et Émeric, tous deux ensemble, donnent à l’almanach, son sens profond et son unité multiple selon la définition de la complexité énoncée par Edgar Morin - « où des éléments hétérogènes, le plus souvent contraires, antagonistes même, loin de se repousser, s’associent de façon complémentaire pour être intégrés dans une totalité, au sein de laquelle ils gardent malgré tout leur caractère distinct.[12]»

Le monde des Érics est pour moi semblable à une galaxie ou encore à une constellation. Comme l’a très bien perçu Laure Limongi dans je ne sais rien d’un homme quand je sais qu’il s’appelle jacques :

« Une constellation est une histoire avec tous ses personnages. Scintillants, déjà morts, en super nova… Et combien d’années-lumière ? Mythologie variable selon l’hémisphère choisi. Nord ou Sud. Tout tourne. Sans précipitation. Tout tourne autour d’un axe. L’observation change selon la période. L’angle de vue. Le support, ici, est à considérer comme un vaisseau.

Une vie est une constellation, une vie est un système. Un glossaire, un album, le tracé d’une ellipse. La cohérence n’y est pas une notion majeure même si tout y tourne autour d’un axe. Juste des tonalités intermédiaires. Une vie a des résonances variables selon l’angle de vue choisi, le trajet[13]. »  

Rejoignant cette idée de constellation, j’ai pensé que l’almanach était une sorte de télescope grâce auquel j’ai tenté de mieux approcher, et si possible mieux connaître, un certain nombre d’étoiles ; dans un monde instable, en expansion infinie, j’ai vu dans la lentille de mon télescope géant naître sans cesse de nouvelles images d’étoiles-Éric que j’ai « almanagraphiées » comme Éric Aristidi a « coronographiées » ses images d’étoiles vues de l’Antarctique[14].

L’apparition d’un Émeric à la fin de l’almanach, correspond sans nul doute dans mon imaginaire symbolique personnel à la découverte d’un « nouvel astre ». Ma représentation du monde (Weltanschauung) a donné plus exactement donné lieu à la reconnaissance d’une magnifique « étoile double » dont les deux « composantes » autrement dit Éric d’une part - considéré ici comme l’ensemble de tous les noms d’Érics - et Émeric d’autre part, gravitent sans cesse l’une autour de l’autre. Mais ici, à la différence des étoiles doubles physiques définies par l’astronomie, il n’y a pas une étoile plus « faible » que l’autre, si ce n’est numériquement. Je pense à José Saramago dans Tous les noms : « et c’était comme s’il les plaçait sur les plateaux d’une balance, cent d’un côté, une de l’autre, pour découvrir ensuite avec surprise que les cent tous ensemble ne pesaient pas plus qu’une personne, que cent était égal à un, qu’un valait autant que cent[15]. » Mes deux « astres », ont la même luminosité, le même éclat. Mais tout se passe comme si, dans la page de l’épagomène III, l'image du « compagnon » (à peine aperçue le 22 juillet dans les autres anniversaires) se formait sur une zone périphérique du masque : « comme si soudain elle avait plus d’importance que toutes les autres[16] ».

Entre parenthèses, à l’appui de cette métaphore astronomique, je suis de plus en plus frappée par l’abondance sémantique relative au ciel et aux étoiles dans les poèmes d’Émeric de Monteynard.

Qu'importe ce qu'on dit

quand un soleil s'effondre sous des amas de noir...

que la lune qui flotte, s'affuble d'étoiles

et l'allume - la mer -  et la roule...[17]

Un poème comme en perce va d’ailleurs beaucoup plus loin que la simple métaphore puisqu’il annonce un possible changement d’état de l’être humain en astre :

Astre

A vos yeux

S’il s’avère

Qu’un jour

Je sois

C’est vous seuls

Stupéfaits

C’est vous, qui saurez.[18]

Oui, il était nécessaire qu’à la fin de l’Almanach, le temps s’ouvre, déborde, éclate et fasse émerger en lumière[19] un nouvel astre à l’horizon. Car pendant tout le temps d’élaboration de ce livre, soit de 2002 à 2007, en contrepoint à l’univers polyphonique d’Éric, Émeric de Monteynard m’a aidée, souvent malgré lui, à catalyser, féconder mon désir d’écrire. Au risque de m’y brûler, je me suis nourrie de ses mots et j’ai bu à sa source la sève, l’encre vive[20] qu’est sa poésie.

Sans Éric et sans Émeric ce Livre n’aurait jamais vu le jour. A chacun, un immense merci.

*

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[1] Guy Cornut, La voix, PUF, Que sais-je, n° 627, p. 31-33.

[2] 7. Éric Chevillard, e-mail du 18.06.07.

[3] Cf. Entretien avec Éric Nataf19/12, 18.06.03.

[4] « Calendrier hémérologique » : cf. Alain Arrault, « les premiers calendriers chinois du IIe siècle avant notre ère au Xe siècle », dans : Les calendriers : leurs enjeux dans l’espace et dans le temps, colloque de Cerisy, du 1er au 8 juillet 2000, sous la dir. de Jacques Le Goff, Jean Lefort et Perrine Mane, Paris, Somogy éditions d’art, 2002, p. 178-187

[5] Richard Khaitzine, e-mails, 11 et 12 septembre 2007.

[6] Cf. Jean Chevalier et Alain Cheerbrant, Dictionnaire des symboles…, éd. rev. et augm., Paris, R. Laffont, Jupiter, 1988, p. 530.

[7] Éric de Haulleville, Dénoûment, op. cit., p. 151.

[8] René Char, Pontonniers dans aromates chasseurs, La nuit talismatique qui brillait dans son cercle, Œuvres complètes, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, p. 523.

[9] Antonin Dvořák, Symphonie du Nouveau monde, interpr. Orch. Philharmonique tchèque, dir. Karel Ancerl, pochette de disque [auteur du texte non indiqué], Supraphon, P 1964, 1970, ref. 25925.

[10] Cf. Exposition Paris, Mairie du Xe, fév.-mars 2007. (Citation : http://www.paris.fr/portail).

[11] Cf. Émeric de Monteynard, Concéder l’or et le bleu, op. cit.

[12] Cf. La complexité humaine, textes rassemblés avec Edgar Morin et présentés par Heinz Weinzmann, Flammarion, Champs / L’Essentiel, 1994, p. 12.

[13] Laure Limongi, je ne sais rien d’un homme quand je sais qu’il s’appelle jacques, al dante, 2004, p. 6.

[14] Cf. Éric Aristidi19/12 : CORONA : « Le coronographe stellaire s'inspire du dispositif de Lyot, à ceci près que ce sont des étoiles que l'on observe (et non le Soleil). On cherche à atténuer la lumière provenant de l'étoile pour pouvoir observer d'éventuelles planètes ou compagnons faibles dans les alentours. », Cf. « Les expériences de l'hiver 2006 », http://pleiades.unice.fr/~aristidi/hivernage/

[15] Cf. José Saramago, Tous les noms, Paris, Ed. du Seuil, Points, p. 37-38.

[16] Id.

[17] le signe qu’on vole, Concéder l’or et le bleu.

[18] en perce, Dans ce tremblé des dires.

[19] Émeric de Monteynard, tomber, Dans ce tremblé des dires.

[20] Cf. Claire Fourier, La Trace, op. cit., p. 79.

Dernière maj 28.11.07


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