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Le blog d'Erica
14 novembre 2010

CITATION : STEFAN ZWEIG : L'INCURABILITÉ

«Mais moi on ne m’entendra jamais employer le mot "incurable". Jamais ! Je sais, l’homme le plus intelligent du XIXe siècle, Nietzsche, a dit : "Il ne faut pas vouloir guérir l’inguérissable. " Mais c’est à mon avis la phrase la plus fausse et la plus dangereuse qu’il ait écrite, parmi tous les paradoxes qu’il nous a donnés à résoudre. C’est justement le contraire qui est vrai et je prétends, quant à moi, que c’est précisément l’inguérissable – comme on l’appelle – qu’il faut vouloir guérir si l’on devient médecin, et bien plus : j’ajouterai que c’est devant l’inguérissable que se montre le médecin.

Le médecin qui accepte d’avance l’idée de l’incurabilité, déserte sa tâche, il capitule avant la bataille. Bien entendu il est plus simple, plus commode, de dire dans certains cas que le mal est « incurable »  et de tourner le dos avec un visage résigné, après avoir empoché ses honoraires. Oui, oui, c’est extrêmement facile et profitable de ne s’occuper que des cas facilement guérissables, pour lesquels on peut trouver dans les vieux bouquins toute la thérapeutique voulue. Ceux à qui cela fait plaisir peuvent agir ainsi. A moi, personnellement, cela me paraît aussi pitoyable qu’un poète qui se contenterait de redire ce que d’autres ont dit avant lui, au lieu d’essayer d’exprimer ce qui n’a pas encore été dit, et même l’inexprimable, ou qu’un philosophe qui expliquerait ce qu’on a déjà expliqué quatre-vingt-dix-neuf fois au lieu de s’attaquer à l’inconnu et même à l’inconnaissable.

L’incurabilité est une notion toute relative et jamais absolue. Il n’y a de cas incurables pour la médecine, qui est une science évolutive, que dans le momentané, dans les limites actuelles de nos connaissances, par conséquent dans les limites de notre étroite perspective de grenouille. Mais pour l’instant, il ne s’agit pas de cela. (…) Il n’y a donc pour moi, je vous prie de bien vouloir vous le mettre dans la tête (…) aucune maladie inguérissable, par principe je n’abandonne jamais personne, et jamais l’on ne me fera agir autrement. Le maximum à quoi on pourrait me contraindre, même dans le cas le plus désespéré, serait que je dise d’une maladie qu’elle n’est "pas encore guérissable", c’est-à-dire que la science actuelle n’a pas encore trouvé contre elle de remède. »

(Paroles du Docteur Emmerich Condor, dans Stefan Zweig, La pitié dangereuse, La pochothèque, 1994, p. 970-971)

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