L'UNIVERS DE TON PRÉNOM

(Texte écrit en juillet-août 2001).

L’amour n’est-il qu’un nom ? Grave question.

« Au commencement était le Verbe et le Verbe était Dieu ». En Terminale, notre professeur de philo avait déjà effleuré le sujet, émis l’hypothèse que l’amour, comme Dieu, n’était peut-être qu’un nom. D’ailleurs, prononcer le nom sacré est parfois interdit.

Peut-on tomber amoureux d’un nom, d’un prénom ? D’une photo, d’une image ?

Nous ne parlons pas d’une petite folie passagère et superficielle mais d’un amour, une passion, qui peut durer des années ou toute la vie et finit par s’incorporer à nos pensées à tout instant du jour et de la nuit, les modelant, les sculptant, leur donnant forme comme ferait un artisan potier.

L’écriture s’apparente également à ce travail de modelage et de transformation perpétuelle à partir des matériaux les plus divers réels ou imaginaires.

Par l’amour nous créons autant que nous sommes créés par lui.

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« Tu es Pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon église », dit Jésus.

Pierre ne pouvait pas s’appeler autrement, son prénom le révèle pour qu’il soit le fondateur de l’Eglise.

Certes, cela ne « marche » pas avec tous les prénoms de même que tous les Pierre ne sont pas des fondateurs de l’Eglise (il s’agit de « cette » pierre, pas n’importe laquelle). Mais tout de même, le choix d’un prénom reste très symbolique et très important comme en témoignent par exemple le livre de Pierre ( !) Le Rouzic : Un prénom pour la vie : choix, rôle, influence du prénom (Albin Michel, 1985) ou la collection « L’univers de votre prénom » (Nina Lygnane, éditeur[1]). Ce genre d’ouvrages est bien sûr à manier avec précaution, il s’agit de tendances caractérologiques, pas de portraits-robots figés une fois pour toutes. Bien entendu, beaucoup d’autres facteurs rentrent en ligne de compte qui individualisent – heureusement - les personnes portant le même prénom !

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Si l’on aime bien un prénom, ce n’est pas obligé que nous aimions les gens qui le portent. De même, nous pouvons aimer quelqu’un qui ne porte pas un prénom qui nous plaît à priori. Mais quand les deux se rencontrent, je veux dire, quand une personne coïncide exactement avec le nom qu’elle porte, que nous aimons cette personne et que nous aimons aussi son nom, il peut arriver que nous ne sachions plus ce que nous préférons entre la personne et son nom, les deux sont indissociables. Si la personne que nous aimons nous quitte (ou que nous la quittions), si nous en rencontrons d’autres portant son prénom, nous pensons inévitablement à la première. Il arrive que nous aimions quelqu’un d’autre plus ou moins consciemment parce qu’il ou elle porte le même prénom, c’est le cas dans le film L’Eternel retour où deux Yseult, très différentes l’une de l’autre physiquement et de caractère opposé, se disputent le cœur de Tristan. Il arrive qu’un homme, à l’âge adulte, vive avec une femme qui porte le même prénom que sa première petite amie. Fidélité inconsciente à la première ? Attirance pour le nom ? Amour totalement distinct ? Ressemblance physique ? Coïncidence ? Difficile à dire parfois.

Quant à moi, le prénom que j’ai choisi est celui d’Eric. Il coïncide avec une personne donnée, très aimée, que je ne vois malheureusement plus du tout. Il ne me reste plus précisément que « l’univers de son prénom » : à parcourir, à étudier, à imaginer, à construire, à habiter comme un pays, une planète même. Je ne peux me séparer de lui ni de son prénom. Je ne sais pas s’il s’agit encore une fois d’un travail de deuil. Je sais seulement que je suis incapable de l’oublier et qu’investir au contraire à fond dans un travail de recherche et d’écriture au plus près de lui me permet de moins souffrir à défaut d’être vraiment « guérie ». Pour moi, à plus d’un titre, son prénom est lié à l’écrit. Pour moi Eric = Ecri(t). Il contient aussi le mot cri (crie, crié). A l’envers, il se transforme en « cire », c’est-à-dire en substance malléable et molle, comme de la cire d’abeille, qui contraste avec la dureté des consonnes de l’ordre initial « r » et « k ».

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Eric, me permets-tu de m’adresser directement à toi ?

Je serai ta petite abeille qui butine sur chaque fleur (de bruyère exclusivement !) pour produire miel ou cire à partir de la substance de ton nom. Je serai la disciple d’Eluard, j’écrirai  ton nom « sur mes cahiers d’écolier… sur toutes les pages lues, sur toutes les pages blanches ». Je ferai de toi le portrait le plus insolite, aux visages multiples. Te reconnaîtrais-tu derrière tous ces visages, ces facettes possibles ? Qui le sait ? Je veux savoir qui se cache derrière ton prénom alors que je ne connais presque rien de toi. Projet absurde, fou, ridicule ? Qu’importe, Eric, il me faut le tenter, le grand voyage dans l’univers de ton prénom.

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[1]  Voir par exemple dans cette collection, Michel, Paris, France-Prénoms,1987.

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Comments

[Erica]

Voici en ricochet poétique à ton commentaire, Eric, un de mes premiers poèmes "chimériques" parlant déjà d'une symphonie et d'une tapisserie de bruyères... Il s'appelle "Prélude"
http://leblogderica.canalblog.com/archives/poesie/index.html

Merci de te faire le porte-parole de tous les Erics.

Votre Erica

[Erica]

Bonjour Eric,

Merci de ton commentaire et de ta fidélité. C'est un des textes d'introduction que j'ai écrits tout au début de mon projet quand je ne savais pas encore quelle forme je lui donnerai...
Tu as raison de parler de symphonie, tu verras pourquoi le 31 décembre dans la conclusion.
Amitiés
Erica

[Eric]

Belle ouverture à cette symphonie des Eric, j'en aime l'émotion et ce brin d'exaltation qu'on trouve dans la bruyère en fleur et la tourbe qui la nourrit.
Tous les Eric te remercient Erica !